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Toutefois, songez-y, fuyez la vanité.
Vous me devez un peu cette beauté nouvelle ;
Vos attraits sont à moi : c’est moi qui vous fis belle,
Soit orgueil, indulgence ; ou captieux détour.
Soit que mon cœur gagné par vos semblants d’amour,
D’un peu d’aveuglement n’ait point su se défendre
(Car mon cœur est si bon et ma muse est si tendre !)
Je vins à vos genoux, en soupirs caressants,
D’un vers adulateur vous prodiguer l’encens ;
De vos regards éteints la tristesse chagrine
Fut bientôt dans mes vers une langueur divine.
Ce corps fluet, débile, et presque inanimé,
En un corps tout nouveau dans mes vers transformé,
S’élançait léger, souple ; ils vous portaient la vie ;
Des nymphes, dans mes vers, vous excitiez l’envie.
Que de fois sur vos traits, par ma muse polis,
Ils ont mêlé la rose au pur éclat des lis !
Tandis qu’au doux réveil de l’aurore fleurie
Vos traits n’offraient aux yeux qu’une pâleur flétrie,
Et le soir, embellis de tout l’art du matin,
N’avaient de rose, hélas ! qu’un peu trop de carmin.
Ces folles visions des flammes dévorées
Ont péri, grâce aux dieux, pour jamais ignorées.
Sur la foi de mes vers mes amis transportés
Cherchaient partout vos pas, vos attraits si vantés,
Vous voyaient ; et soudain, dans leur surprise extrême,
Se demandaient tout bas si c’était bien vous-même,
Et de mes yeux séduits plaignant la trahison,
M’indiquaient l’ellébore ami de la raison.

« Quoi ! c’est là cet objet d’un si pompeux hommage !