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Et d’une voix mourante, elle dit : « Ah ! grands dieux !
Faut-il, quand tes désirs font taire mes murmures,
Voir encor ce témoin qui compte mes parjures ! »
Elle s’élance ; et lui, la serrant dans ses bras,
La retenait, disant : « Non, non, ne l’éteins pas. »

Elle lutte et s’échappe, et ma clarté rebelle
Sous sa lèvre entr’ouverte en vain plie et chancelle ;
Elle me suit, redouble, et son souffle envieux
Me ravit la lumière et me ferme les yeux.
Je cessai de brûler. Suis mon exemple, cesse.
Ou aime un autre amant. Aime une autre maîtresse :
Souffle sur ton amour, ami, si tu me croi,
Ainsi que pour m’éteindre elle a soufflé sur moi.


XXVII[1]


 
Je suis né pour l’amour, j’ai connu ses travaux ;
Mais, certes, sans mesure il m’accable de maux :
À porter ce revers mon âme est impuissante.
Eh quoi ! beauté divine, incomparable amante,
Je vous perds ! Quoi, par vous nos liens sont rompus !
Vous le voulez ; adieu, vous ne me verrez plus :
Du besoin de tromper ma fuite vous délivre.
Je vais loin de vos yeux pleurer au lieu de vivre !
Mais vous fûtes toujours l’arbitre de mon sort,
Déjà vous prévoyez, vous annoncez ma mort.
Oui, sans mourir, hélas ! on ne perd point vos charmes,

  1. Édition 1819.