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Étouffer dans mon cœur la voix de la jeunesse,
Et sur un lit oisif, consumé de langueur.
D’une nuit solitaire accuser la longueur ?
Aux sommets où Phébus a choisi sa retraite,
Enfant, je n’allai point me réveiller poète ;
Mon cœur, loin du Permesse, a connu dans un jour
Les feux de Calliope et les feux de l’amour.
L’amour seul dans mon âme a créé le génie ;
L’amour est seul arbitre et seul dieu de ma vie ;
En faveur de l’amour quelquefois Apollon
Jusqu’à moi volera de son double vallon.
Mais que tous deux alors ils donnent à ma bouche
Cette voix qui séduit, qui pénètre, qui touche ;
Cette voix qui dispose à ne refuser rien,
Cette voix, des amants le plus tendre lien.
Puisse un coup d’œil flatteur, provoquant mon hommage,
À ma langue incertaine inspirer du courage !
Sans dédain, sans courroux, puissé-je être écouté !
puisse un vers caressant séduire la beauté !
Et si je puis encore, amoureux de sa chaîne,
Célébrer mon bonheur ou soupirer ma peine ;
Si je puis par mes sons touchants et gracieux
Aller grossir un jour ce peuple harmonieux
De cygnes dont Vénus embellit ses rivages
Et se plait d’égayer les eaux de ses bocages,
Sans regret, sans envie, aux vastes champs de l’air
Mes yeux verront planer l’oiseau de Jupiter.

Sans doute heureux celui qu’une palme certaine
Attend victorieux dans l’une et l’autre arène ;
Qui tour à tour convive et de Gnide et des cieux,