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Livre à des feux troyens les vaisseaux sans défense ;
Qu’a Colomb pour le nord révélant son amour,
L’aimant nous ait conduits où va finir le jour…
Jadis, il m’en souvient, quand les bois du Permesse
Recevaient ma première et bouillante jeunesse,
Plein de ces grands objets, ivre de chants guerriers,
Respirant la mêlée et les cruels lauriers,
Je me couvrais de fer, et d’une main sanglante
J’animais aux combats ma lyre turbulente ;
Des arrêts du destin, prophète audacieux,
J’abandonnais la terre et volais chez les dieux.
Au flambeau de l’amour j’ai vu fondre mes ailes.
Les forêts d’Idalie ont des routes si belles !
Là, Vénus me dictant de faciles chansons
M’a nommé son poète entre ses nourrissons :
Si quelquefois encore, à tes conseils docile,
Ou jouet d’un esprit vagabond et mobile,
Je veux, de nos héros admirant les exploits,
À des sons généreux solliciter ma voix ;
Aux sens voluptueux ma voix accoutumée,
Fuit, se refuse et lutte, incertaine, alarmée ;
Et ma main, dans mes vers de travail tourmentés,
Poursuit avec effort de pénibles beautés.
Mais si, bientôt lassé de ces poursuites folles,
Je retourne à mes riens que tu nommes frivoles,
Si je chante Camille, alors écoute, voi :
Les vers pour la chanter naissent autour de moi.
Tout pour elle a des vers ! Ils renaissent en foule ;
Ils brillent dans les flots du ruisseau qui s’écoule ;
Ils prennent des oiseaux la voix et les couleurs ;
Je les trouve cachés dans les replis des fleurs.