Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

VII[1]

AUX FRÈRES DE PAGE


 
Aujourd’hui qu’au tombeau je suis prêt à descendre,
Mes amis, dans vos mains je dépose ma cendre.
Je ne veux point, couvert d’un funèbre linceul[2],
Que les pontifes saints autour de mon cercueil,
Appelés aux accents de l’airain lent et sombre,
De leur chant lamentable accompagnent mon ombre,
Et sous des murs sacrés aillent ensevelir
Ma vie, et ma dépouille, et tout mon souvenir.
Eh ! qui peut sans horreur, à ses heures dernières,
Se voir au loin périr dans des mémoires chères ?
L’espoir que des amis pleureront notre sort
Charme l’instant suprême et console la mort.
Vous-mêmes choisirez à mes jeunes reliques
Quelque bord fréquenté des pénates rustiques,
Des regards d’un beau ciel doucement animé,
Des fleurs et de l’ombrage, et tout ce que j’aimai.
C’est là, près d’une eau pure, au coin d’un bois tranquille,
Qu’à mes mânes éteints je demande un asile :
Afin que votre ami soit présent à vos yeux,
Afin qu’au voyageur amené dans ces lieux,
La pierre, par vos mains de ma fortune instruite,

  1. Édition 1819.
  2. On a donné parfois an mot linceul la prononciation euil. Dans le Dictionnaire des rimes françaises de Jean Le Febvre, corrigé par le seigneur des Accords, Paris, 1587, linceuil figure parmi les rimes en euil, ueil (cercueil) et linceul parmi les rimes en eul. (B. de F.)