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D’une double moisson la grange sera pleine,
Avant que dans vos bras la voile nous ramène.
Si long-temps autrefois nous n’étions point perdus !
Aux plaisirs citadins tout l’hiver assidus,
Quand les jours repoussaient leurs bornes circonscrites,
Et des nuits à leur tour usurpaient les limites,
Comme oiseaux du printemps, loin du nid paresseux,
Nous visitons les bois et les coteaux vineux,
Les peuples, les cités, les brillantes naïades ;
Et l’humide départ des sinistres pléiades
Nous renvoyait chercher la ville et ses plaisirs,
On souvent rassemblés, livrés à nos loisirs,
Honteux d’avoir trouvé nos amours infidèles,
Disputer des beaux-arts, de la gloire et des belles.
Ah ! nous ressemblions, arrêtés ou flottants,
Aux fleuves comme nous voyageurs inconstants.
Ils courent à grand bruit ; ils volent, ils bondissent ;
Dans les vallons riants leurs flots se ralentissent.
Quand l’hiver accourant du blanc sommet des monts,
Vient mettre un frein de glace à leurs pas vagabonds,
Ils luttent vainement, leurs ondes sont esclaves :
Mais le printemps revient amollir leurs entraves,
Leur frein s’use et se brise au souffle du zéphyr
Et l’onde en liberté recommence à courir.