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VI[1]

AUX FRÈRES DE PANGE

 
Vous restez, mes amis, dans ces murs où la Seine
Voit sans cesse embellir les bords dont elle est reine,
Et près d’elle partout voit changer tous les jours
Les fêtes, les nivaux, les belles, les amours.
Moi, l’espoir du repos et du bonheur peut-être,
Cette fureur d’errer, de voir et de connaître,
La santé que j’appelle et qui fuit mes douleurs
(Bien sans qui tous les biens n’ont aucunes douceurs),
À mes pas inquiets tout me livre et m’engage.
C’est au milieu des soins compagnons du voyage,
Que m’attend une sainte et studieuse paix
Que les flèches d’amour ne troubleront jamais.
Je suivrai des amis[2] ; mais mon âme d’avance ;
Vous, mes autres amis, pleure de votre absence,
Et voudrait, partagée en des penchants si doux,
Et partir avec eux et rester près de vous.
Ce couple fraternel, ces âmes que j’embrasse
D’un lien qui du temps craignant peu les menaces,
Se perd dans notre enfance, unit nos premiers jours
Sont mes guides encore ; ils le furent toujours.
Toujours leur amitié, généreuse, empressée,
A porté mes ennuis et ne s’est point lassée.

  1. Édition 1819.
  2. Les deux frères Trudaine. André composa cette élégie au printemps de 1784, en partant pour la Suisse et l’Italie.