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Je vais sous d’autres cieux dépouiller d’autres fleurs.
Le papillon plus grand offre moins de couleurs ;
Et l’Orénoque impur, la Floride fertile
Admirent qu’un oiseau si tendre, si débile,
Mêle tant d’or, de pourpre, en ses riches habits,
Et pensent dans les airs voir nager des rubis.
Sur un fleuve souvent l’éclat de mon plumage
Fait à quelque Léda souhaiter mon hommage.
Souvent, fleuve moi-même, en mes humides bras
Je presse mollement des membres délicats,
Mille fraîches beautés que partout j’environne ;
Je les tiens, les soulève, et murmure et bouillonne.
Mais surtout, Lycoris, Protée insidieux,
Partout autour de toi je veille, j’ai des yeux,
Partout, sylphe ou zéphyr, invisible et rapide,
Je te vois. Si ton cœur complaisant et perfide
Livre à d’autres baisers une infidèle main,
Je suis là. C’est moi seul dont le transport soudain,
Agitant tes rideaux ou ta porte secrète,
Par un bruit imprévu t’épouvante et t’arrête.
C’est moi, remords jaloux, qui rappelle en ton cœur
Mon nom et tes serments et ma juste fureur…

Mais périsse l’amant que satisfait la crainte !
Périsse la beauté qui m’aime par contrainte,
Qui voit dans ses serments une pénible loi,
Et n’a point de plaisir à me garder sa foi !