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Si, sans voir dans tes yeux ni courroux ni dédain,
Il dit : « C’est donc aux morts que tu vis enchaînée ?
Vierge, un deuil solitaire est donc ton hyménée ?
Est-ce à toi de vieillir en des pleurs superflus ?
Il ne reviendra pas ; sans doute il ne vit plus ! »
Il vit, il vit encore. Il revient. Tremble ! Arrête.
Crains que mon désespoir n’invoque sur ta tête
Les dieux persécuteurs de qui manque à sa foi !
Cette main, ces serments, ces baisers sont à moi.
Gardez-la-moi, Gémeaux, fils et rois de notre île !
Notre amour, sous vos yeux, croissait dans votre asile,
Et Junon Illythie, et vous tous, dieux témoins,
Qui du lit nuptial prenez d’augustes soins,
N’oubliez point l’absent que les humains oublient !
Je la confie à vous. Que les nœuds qui nous lient,
Les ordres maternels, ma voix, nos premiers ans,
Vos foudres, le remords toujours, toujours présents,
M’environnant son cœur d’une garde éternelle…
....................
Si de quelque entretien l’insidieux détour
Voulait lui déguiser quelque amorce d’amour,
Tonnez, et qu’elle fuie. Au sein des nuits peureuses,
Faites entrer la foule aux ailes ténébreuses
Des songes messagers de terreur et d’effroi,
Pour me remplir ce lit qui n’est permis qu’à moi[1].

  1. Le manuscrit porte cette variante :

    Pour me garder ce lit qui n’est permis qu’à moi.

    C’était la première pensée du poète, qui a ensuite remplacé le mot garder par le mot remplir (G. de Chénier.)