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XLV[1].


Blanche et douce colombe, aimable prisonnière,
Quel injuste ennemi te cache à la lumière ?
Je t’ai vue aujourd’hui (que le ciel était beau !)
Te promener longtemps sur le bord du ruisseau,
Au hasard, en tous lieux, languissante, muette.
Tournant tes doux regards et tes pas et ta tête.
Caché dans le feuillage, et n’osant l’agiter,
D’un rameau sur un autre à peine osant sauter,
J’avais peur que le vent décelât mon asile.
Tout seul je gémissais, sur moi-même immobile,
De ne pouvoir aller, le ciel était si beau !
Promener avec toi sur le bord du ruisseau.

Car, si j’avais osé, sortant de ma retraite,
Près de ta tête amie aller porter ma tête,
Avec toi murmurer et fouler sous mes pas
Le même pré foulé sous tes pieds délicats,
Mes ailes et ma voix auraient frémi de joie,
Et les noirs ennemis, les deux oiseaux de proie.
Ces gardiens envieux qui te suivent toujours,
Auraient connu soudain que tu fais mes amours.
Tous les deux à l’instant, timide prisonnière,
T’auraient, dans ta prison, ravie à la lumière,
Et tu ne viendrais plus, quand le ciel sera beau,
Te promener encor sur le bord du ruisseau.

Blanche et douce brebis à la voix innocente,
Si j’avais, pour toucher la laine obéissante,

  1. Édition 1833, où ce morceau était place parmi les odes, dédié à Mlle  de Coigny, et daté de Saint-Lazare ; ce qui n’était pas justifié.