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Qu’il garde ses plaisirs. Dans un vallon tranquille,
Les muses contre lui nous offrent un asile ;
Les muses, seul objet de mes jeunes désirs,
Mes uniques amours, mes uniques plaisirs.
L’amour n’ose troubler la paix de ce rivage.
Leurs modestes regards ont, loin de leur bocage,
Fait fuir ce dieu cruel, leur légitime effroi.
Chastes muses, veillez, veillez toujours sur moi.
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Traduction de Bion.


Non, non, le dieu d’amour n’est point l’effroi des muses.
Elles cherchent ses pas, elles aiment ses ruses.
Le cœur qui n’aime rien a beau les implorer,
Leur troupe qui s’enfuit ne veut pas l’inspirer.
Qu’un amant les invoque, et sa voix les attire.
C’est ainsi que toujours elles montent ma lyre.
Si je chante les dieux, ou les héros, soudain
Ma langue balbutie et se travaille en vain.
Si je chante l’amour, ma chanson d’elle-même
S’écoule de ma bouche et vole à ce que j’aime.
Ô crédules amants, écoutez donc au moins
De vos baisers secrets ces mobiles témoins,
Ces flots d’azur errants sous vos belles Dryades,
Byblis, Œnone, Alphée et tant d’autres naïades,
Qui murmurent encor de doux gémissements.
Tous furent autrefois de crédules amants
Qui, se fondant en pleurs, et changés en fontaines,
Par la pitié des dieux serpentent dans vos plaines.