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ressent… « On dit que tu as fait une chanson pour Pannychis, ta cousine ?… — Oui, je l’aime, Pannychis… elle est belle ; elle a cinq ans comme moi… Nous avons arrondi en berceau ces buissons de roses… Nous nous promenons sous cet ombrage… On ne peut pas nous y troubler, car il est trop bas pour qu’on y puisse entrer. Je lui ai donné une statue de Vénus que mon père m’a faite avec du buis : elle l’appelle sa fille, elle la couche sur des feuilles de rose dans une écorce de grenade… Tous les amants font toujours des chansons pour leur bergère… et moi aussi, j’en ai fait une pour elle… — Eh bien ! chante-nous ta chanson, et nous te donnerons des raisins, des figues mielleuses… — Donnez les-moi d’abord, et puis je vais chanter… »

Il tend ses deux mains… on lui donne… et puis, d’une voix claire et douce il se met à chanter :


« Ma belle Pannychis, il faut bien que tu m’aimes ;
Nous avons même toit, nos âges sont les mêmes.
Vois comme je suis grand, vois comme je suis beau.
Hier je me suis mis auprès de mon chevreau ;
Par Pollux et Minerve ! il ne pouvait qu’à peine
Faire arriver sa tête au niveau de la mienne.
D’une coque de noix j’ai fait un abri sûr
Pour un beau scarabée étincelant d’azur ;
Il couche sur la laine, et je te le destine.
Ce matin j’ai trouvé parmi l’algue marine
Une vaste coquille aux brillantes couleurs ;
Nous l’emplirons de terre, il y viendra des fleurs.
Je veux, pour te montrer une flotte nombreuse,
Lancer sur notre étang des écorces d’yeuse.
Le chien de la maison est si doux ! chaque soir
Mollement sur son dos je veux te faire asseoir ;
Et, marchant devant toi jusques à notre asile
Je guiderai les pas de ce coursier docile. »