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Le moissonneur s’égaye, et l’automne orageux
En des climats lointains vous chasse toutes deux.
Oses-tu donc porter dans ta cruelle joie
À ton nid sans pitié cette innocente proie ?
Et faut-il voir périr un chanteur sans appui
Sous la morsure, hélas ! d’un chanteur comme lui !



XXX[1]

LA JEUNE LOCRIENNE


« Fuis, ne me livre point. Pars avant son retour ;
Lève-toi, pars, adieu ; qu’il n’entre, et que ta vue
Ne cause un grand malheur, et je serais perdue !
Tiens, regarde, adieu, pars : ne vois-tu pas le jour ? »
Nous aimions sa naïve et riante folie,
Quand soudain, se levant, un sage d’Italie,
Maigre, pâle, pensif, qui n’avait point parlé,
Pieds nus, la barbe noire, un sectateur zélé
Du muet de Samos qu’admire Métaponte,
Dit : « Locriens perdus, n’avez-vous pas de honte ?
Des mœurs saintes jadis furent votre trésor.
Vos vierges, aujourd’hui riches de pourpre et d’or,
Ouvrent leur jeune bouche à des chants adultères.
Hélas ! qu’avez-vous fait des maximes austères
De ce berger sacré que Minerve autrefois
Daignait former en songe à vous donner des lois ? »
Disant ces mots, il sort… Elle était interdite,
Son œil noir s’est mouillé d’une larme subite ;

  1. Notice de Sainte-Beuve, 1839. Le titre n’est pas de la main de l’auteur.