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Je fus riche autrefois : mon banquet opulent
N’a jamais repoussé l’étranger suppliant.
Et pourtant aujourd’hui la faim est mon partage,
La faim qui flétrit l’âme autant que le visage,
Par qui l’homme, souvent importun, odieux,
Est contraint de rougir et de baisser les yeux !

— Étranger, tu dis vrai, le hasard téméraire
Des bons ou des méchants fait le destin prospère.
Mais sois mon hôte. Ici l’on hait plus que l’enfer
Le public ennemi, le riche au cœur de fer,
Enfant de Némésis, dont le dédain barbare
Aux besoins des mortels ferme son cœur avare.
Je rends grâce à l’enfant qui t’a conduit ici.
Ma fille, c’est bien fait ; poursuis toujours ainsi.
Respecter l’indigence est un devoir suprême.
Souvent les immortels (et Jupiter lui-même)
Sous des haillons poudreux, de seuil en seuil traînés,
Viennent tenter le cœur des humains fortunés. »

D’accueil et de faveur un murmure s’élève.
Lycus descend, accourt, tend la main, le relève :
« Salut, père étranger ; et que puissent tes vœux
Trouver le ciel propice à tout ce que tu veux !
Mon hôte, lève-toi. Tu parais noble et sage ;
Mais cesse avec la main de cacher ton visage.
Souvent marchent ensemble Indigence et Vertu ;
Souvent d’un vil manteau le sage revêtu,
Seul, vit avec les dieux et brave un sort inique.
Couvert de chauds tissus, à l’ombre du portique,
Sur de molles toisons, en un calme sommeil,