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C’est ta mère, ta vieille inconsolable mère
Qui pleure ; qui jadis te guidait pas à pas,
T’asseyait sur son sein, te portait dans ses bras ;
Que tu disais aimer, qui t’apprit à le dire ;
Qui chantait ; et souvent te forçait à sourire
Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs,
De tes yeux enfantins faisaient couler les pleurs.
Tiens, presse de ta lèvre, hélas ! pâle et glacée,
Par qui cette mamelle était jadis pressée ;
Que ce suc te nourrisse et vienne à ton secours,
Comme autrefois mon lait nourrit les premiers jours.

— Ô coteaux d’Érymanthe ! ô vallons ! ô bocage !
Ô vent sonore et frais qui troublais le feuillage,
Et faisais frémir l’onde, et sur leur jeune sein
Agitais les replis de leur robe de lin !
De légères beautés troupe agile et dansante…
Tu sais, tu sais, ma mère ? aux bords de l’Érymanthe.
Là, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons…
Ô visage divin ! ô fêtes ! ô chansons !
Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure,
Aucun lieu n’est si beau dans toute la nature.
Dieux ! ces bras et ces flancs, ces cheveux, ces pieds nus,
Si blancs, si délicats ! je ne te verrai plus !
Oh ! portez, portez-moi sur les bords d’Érymanthe ;
Que je la voie encor, cette vierge dansante !
Oh ! que je voie au loin la fumée à longs flots
S’élever de ce toit au bord de cet enclos…
Assise à tes côtés, ses discours, sa tendresse,
Sa voix, trop heureux père ! enchante la vieillesse.
Dieux ! par-dessus la haie élevée en remparts,