Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Eh bien ! mon fils, es-tu toujours impitoyable ?
Ton funeste silence est-il inexorable ?
Enfant, tu veux mourir ? Tu veux, dans ses vieux ans,
Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs ?
Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière ?
Que j’unisse ta cendre à celle de ton père ?
C’est toi qui me devais ces soins religieux,
Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux.
Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume ?
Les maux qu’on dissimule en ont plus d’amertume.
Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis ?

— Ma mère, adieu ; je meurs, et tu n’as plus de fils.
Non, tu n’as plus de fils, ma mère bien-aimée.
Je te perds. Une plaie ardente, envenimée,
Me ronge ; avec effort je respire, et je crois
Chaque fois respirer pour la dernière fois,
Je ne parlerai pas. Adieu ; ce lit me blesse,
Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse ;
Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me meurs.
Tourne-moi sur le flanc. Ah ! j’expire ! ô douleurs !

— Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage,
Sa chaleur te rendra ta force et ton courage.
La mauve, le dictame ont, avec les pavots,
Mêle leurs sucs puissants qui donnent le repos :
Sur le vase bouillant, attendrie à mes larme,
Une Thessalienne a composé des charmes.
Ton corps débile a vu trois retours du soleil
Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil.
Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière