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LE BERGER.

Il n’en est point ; il n’est pour moi que des douleurs :
Mon sort est de servir, il faut qu’il s’accomplisse.
Moi, j’ai ce chien aussi qui tremble à mon service ;
C’est mon esclave aussi. Mon désespoir muet
Ne peut rendre qu’à lui tous les maux qu’on me fait.

LE CHEVRIER.

La terre, notre mère, et sa douce richesse
Ne peut-elle, du moins, égayer ta tristesse ?
Vois combien elle est belle ! et vois l’été vermeil,
Prodigue de trésors, brillants fils du soleil,
Qui vient, fertile amant d’une heureuse culture.
Varier du printemps l’uniforme verdure ;
Vois l’abricot naissant, sous les yeux d’un beau ciel,
Arrondir son fruit doux et blond comme le miel ;
Vois la pourpre des fleurs dont le pêcher se pare
Nous annoncer l’éclat des fruits qu’il nous prépare.
Au bord de ces prés verts regarde ces guérets,
De qui les blés touffus, jaunissantes forêts,
Du joyeux moissonneur attendent la faucille.
D’agrestes déités quelle noble famille !
La Récolte et la Paix, aux yeux purs et sereins,
Les épis sur le front, les épis dans les mains,
Qui viennent, sur les pas de la belle Espérance,
Verser la corne d’or où fleurit l’Abondance.

LE BERGER.

Sans doute qu’à tes yeux elles montrent leurs pas ;
Moi, j’ai des yeux d’esclave, et je ne les vois pas.
Je n’y vois qu’un sol dur, laborieux, servile,
Que j’ai, non pas pour moi, contraint d’être fertile ;