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LE BERGER.

Blond pasteur de chevreaux, oui, tu veux me l’apprendre ;
Oui, ton front est plus beau, ton regard est plus tendre.

LE CHEVRIER.

Quoi ! tu sors de ces monts où tu n’as vu que toi,
Et qu’on n’approche point sans peine et sans effroi !

LE BERGER.

Tu te plais mieux sans doute aux bois, à la prairie ;
Tu le peux. Assieds-toi parmi l’herbe fleurie ;
Moi, sous un antre aride, en cet affreux séjour,
Je me plais sur le roc à voir passer le jour.

LE CHEVRIER.

Mais Cérès a maudit cette terre âpre et dure ;
Un noir torrent pierreux y roule une onde impure ;
Tous ces rocs, calcinés sous un soleil rongeur,
Brûlent et font hâter les pas du voyageur.
Point de fleurs, point de fruits, nul ombrage fertile
N’y donne au rossignol un balsamique asile.
Quelque olivier au loin, maigre fécondité,
Y rampe et fait mieux voir leur triste nudité.
Comment as-tu donc su d’herbes accoutumées
Nourrir dans ce désert tes brebis affamées ?

LE BERGER.

Que m’importe ? est-ce à moi qu’appartient ce troupeau ?
Je suis esclave.

LE CHEVRIER.

Au moins un rustique pipeau
A-t-il chassé l’ennui de ton rocher sauvage ?
Tiens, veux-tu cette flûte ? Elle fut mon ouvrage.