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J’ai vu Corinthe, Argos, et Crète et les cent villes,
Et du fleuve Égyptus les rivages fertiles ;
Mais la terre et la mer, et l’âge et les malheurs,
Out épuisé ce corps fatigué de douleurs.
La voix me reste. Ainsi la cigale innocente,
Sur un arbuste assise, et se console et chante.
Commençons par les dieux : Souverain Jupiter ;
Soleil qui vois, entends, connais tout ; et toi, mer ;
Fleuves, terre, et noirs dieux de vengeances trop lentes,
Salut ! Venez à moi de l’Olympe habitantes,
Muses ! vous savez tout, vous déesses ; et nous,
Mortels, ne savons rien qui ne vienne de vous. »

Il poursuit ; et déjà les antiques ombrages
Mollement en cadence inclinaient leurs feuillages ;
Et pâtres oubliant leur troupeau délaissé,
Et voyageurs quittant leur chemin commencé,
Couraient. Il les entend, près de son jeune guide,
L’un sur l’autre pressés, tendre une oreille avide ;
Et nymphes et sylvains sortaient pour l’admirer,
Et l’écoutaient en foule, et n’osaient respirer ;
Car en de longs détours de chansons vagabondes
Il enchaînait de tout les semences fécondes,
Les principes du feu, les eaux, la terre et l’air,
Les fleuves descendus du sein de Jupiter,
Les oracles, les arts, les cités fraternelles,
Et depuis le chaos les amours immortelles ;
D’abord le roi divin, et l’Olympe, et les cieux,
Et le monde ébranlés d’un signe de ses yeux,
Et les dieux partagés en une immense guerre,
Et le sang plus qu’humain venant rougir la terre.