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Ils avaient dit : C’est bien ; quand, la lyre à la main,
L’incestueux chanteur, ivre de sang romain,
Applaudissait à l’incendie.
Ainsi de deux partis les aveugles conseils
Chassent la paix. Contraires, mais pareils,
Dans un égal abîme, une égale démence
De tous deux entraîne les pas.
L’un, Vandale stupide, en son humble arrogance,
Veut être esclave et despote, et s’offense
Que ramper soit honteux et bas ;
L’autre arme son poignard du sceau de la loi sainte,
Il veut du faible sans soutien
Savourer les pleurs ou la crainte.
L’un du nom de sujet, l’autre de citoyen,
Masque son âme inique et de vice flétrie ;
L’un sur l’autre acharnés, ils comptent tous pour rien
Liberté, vérité, patrie.


XX



De prières, d’encens prodigue nuit et jour,
Le fanatisme se relève.
Martyrs, bourreaux, tyrans, rebelles tour à tour ;
Ministres effrayants de concorde et d’amour
Venus pour apporter le glaive,
Ardents contre la terre à soulever les cieux,
Rivaux des lois, d’humbles séditieux,
De trouble et d’anathème artisans implacables…
Mais où vais-je ? L’œil tout-puissant
Pénètre seul les cœurs à l’homme impénétrables.
Laissons cent fois échapper les coupables
Plutôt qu’outrager l’innocent.