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Quichotte, dans l’intention de se trouver aux joutes de Saragosse. Le duc lui raconta également les tours qu’on avait joués au chevalier, ainsi que l’invention du désenchantement de Dulcinée, qui devait s’opérer aux dépens du postérieur de Sancho. Enfin, il lui raconta l’espièglerie que Sancho avait faite à son maître, en lui faisant accroire que Dulcinée était enchantée et métamorphosée en paysanne, et comment la duchesse avait ensuite fait accroire à Sancho que c’était lui-même qui se trompait, et que Dulcinée était enchantée bien réellement. De tout cela, le bachelier rit beaucoup, et ne s’étonna pas moins, en considérant aussi bien la finesse et la simplicité de Sancho, que l’extrême degré qu’atteignait la folie de Don Quichotte. Le duc le pria, s’il rencontrait le chevalier, qu’il le vainquît ou non, de repasser par son château, pour lui rendre compte de l’événement. Le bachelier s’y engagea. Il partit à la recherche de Don Quichotte, ne le trouva point à Saragosse, passa outre jusqu’à Barcelonne, où il lui arriva ce qui est rapporté précédemment. Il revint par le château du duc, et lui conta toute l’aventure, ainsi que les conditions de la bataille, ajoutant que Don Quichotte, en bon chevalier errant, revenait déjà, pour tenir sa parole de se retirer une année dans son village, « temps pendant lequel, dit le bachelier, on pourra peut-être guérir sa folie. Voilà dans quelle intention j’ai fait toutes ces métamorphoses ; car c’est une chose digne de pitié qu’un hidalgo aussi éclairé que Don Quichotte ait ainsi la tête à l’envers. » Sur cela, il prit congé du duc, et retourna dans son village y attendre Don Quichotte, qui le suivait de près.

C’est de là que le duc prit occasion de faire ce nouveau tour au chevalier, tant il trouvait plaisir aux affaires de Don Quichotte et de Sancho. Il fit occuper les chemins, près et loin du château, dans tous les endroits où il imaginait que pouvait passer Don Quichotte, par un grand nombre de ses gens à pied et à cheval, afin que, de gré ou de force, on le ramenât au château dès qu’on l’aurait trouvé. On le trouva en effet, et l’on en prévint le duc, lequel, ayant tout fait préparer, donna l’ordre, aussitôt qu’il eut connaissance de son arrivée, d’allumer les torches et les lampes funèbres de la cour, et de placer Altisidore sur le catafalque, avec tous les apprêts qu’on a décrits, et qui étaient imités si au naturel, que de ces apprêts à la vérité il n’y avait pas grande différence. Cid Hamet dit en outre qu’à ses yeux les mystificateurs étaient aussi fous que les mystifiés ; et que le duc et la duchesse n’étaient pas à deux doigts de paraître sots tous deux, puisqu’ils se donnaient tant de mouvement pour se moquer de