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et toujours des proverbes ? Maintenant, voilà qu’il m’en arrive quatre, qui viennent à point nommé, comme mars en carême. Mais je ne les dirai point ; car, pour être bon à se taire, c’est Sancho qu’on appelle[1]. — Ce Sancho-là, ce n’est pas toi, s’écria Don Quichotte ; si tu es bon, ce n’est pas pour te taire, mais pour mal parler et pour mal t’obstiner. Cependant, je voudrais savoir quels sont les quatre proverbes qui te venaient maintenant à la mémoire, si bien à point nommé. J’ai beau chercher dans la mienne, qui n’est pourtant pas mauvaise, il ne s’en présente aucun. — Quels meilleurs proverbes peut-il y avoir, dit Sancho, que ceux-ci : Entre deux dents mâchelières ne mets jamais le doigt ; à sortez de chez moi et que voulez-vous à ma femme, il n’y a rien à répondre, et si la pierre donne contre la cruche, ou la cruche contre la pierre, tant pis pour la cruche. Tous ceux-là viennent à point nommé. Ils veulent dire que personne ne se prenne de querelle avec son gouverneur ou avec son chef, car il lui en cuira, comme à celui qui met le doigt entre deux dents mâchelières, et quand même ce ne seraient pas des mâchelières, pourvu que ce soient des dents, peu importe. De même, à ce que dit le gouverneur, il n’y a rien à répliquer, pas plus qu’à sortez de chez moi et que voulez-vous à ma femme. Quant au sens de la pierre et de la cruche, un aveugle le verrait. Ainsi donc il est nécessaire que celui qui voit le fétu dans l’œil du prochain voie la poutre dans son œil, afin qu’on ne dise pas de lui : le mort a peur du décapité ; et votre grâce sait bien que le sot en sait plus long dans sa maison, que le sage dans la maison d’autrui. — Oh ! pour cela, non, Sancho, répondit Don Quichotte ; ni dans sa maison, ni dans celle d’autrui, le sot ne sait rien, car sur la base de la sottise on ne saurait élever aucun édifice d’esprit et de raison. Mais restons-en là, Sancho. Si tu gouvernes mal, à toi sera la faute et à moi la honte. Ce qui me console, c’est que j’ai fait ce que je devais en te donnant des conseils avec tout le zèle et toute la discrétion qui me sont possibles. Ce faisant, je remplis mon devoir et ma promesse. Que Dieu te guide, Sancho, et te gouverne dans ton gouvernement. Puisse-t-il aussi me délivrer du scrupule qui me reste. Je crains vraiment que tu ne mettes toute l’île sens dessus dessous ; chose que je pourrais éviter, en découvrant au duc qui tu es, en lui disant que toute cette épaisseur, toute cette grosse personne que tu fais n’est

  1. Sancho s’applique le vieux dicton : Al buen callar llaman Sancho.