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pour bien payé. Mais je vais faire marcher plus vite la charrette où viennent le singe et le théâtre. » Cela dit, il sortit de l’hôtellerie.

Don Quichotte demanda aussitôt à l’hôtelier qui était ce maître Pierre, quel théâtre et quel singe il menait avec lui. « C’est, répondit l’hôtelier, un fameux joueur de marionnettes, qui se promène depuis quelque temps dans cette partie de la Manche aragonaise, montrant un spectacle de Mélisandre délivrée par le fameux Don Gaïferos, qui est bien l’une des meilleures histoires et des mieux représentées qu’on ait vues depuis longues années dans ce coin du royaume. Il mène aussi un singe de la plus rare habileté qu’on ait vue parmi les singes, et qu’on ait imaginée parmi les hommes. Si on lui fait une question, il écoute attentivement ce qu’on lui demande, saute aussitôt sur l’épaule de son maître, et, s’approchant de son oreille, il lui fait la réponse à la question : laquelle réponse maître Pierre répète sur-le-champ tout haut. Il parle beaucoup plus des choses passées que des choses à venir, et, bien qu’il ne rencontre pas juste à tout coup, le plus souvent il ne se trompe pas, de façon qu’il nous fait croire qu’il a le diable dans le corps. On paie deux réaux par question, si le singe répond…, je veux dire si son maître répond pour lui, après qu’il lui a parlé à l’oreille. Aussi croit-on que ce maître Pierre est fort riche. C’est un galant homme, comme on dit en Italie, un bon compagnon, qui se donne la meilleure vie du monde. Il parle plus que six, boit plus que