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peu d’heures[1]. — Il n’y a pas de chemin si uni, répliqua Sancho, qu’il n’ait quelque pierre à faire broncher ; si l’on fait cuire des fèves chez les autres, chez moi c’est à pleine marmite ; et la folie, plus que la raison, doit avoir des gens pendus à ses crochets. Mais si ce qu’on dit est vrai, que d’avoir des compagnons dans la peine doit nous en soulager, je pourrai me consoler avec votre grâce, puisque vous servez un maître aussi bête que le mien. — Bête, oui, mais vaillant, répondit l’écuyer du Bocage, et encore plus coquin que bête et que vaillant. — Oh ! ce n’est plus là le mien, s’écria Sancho. Il n’est pas coquin le moins du monde ; au contraire, il a un cœur de pigeon, ne sait faire de mal à personne, mais du bien à tous, et n’a pas la moindre malice. Un enfant lui ferait croire qu’il fait nuit en plein midi. C’est pour cette bonhomie que je l’aime comme la prunelle de mes yeux, et que je ne puis me résoudre à le quitter, quelques sottises qu’il fasse. — Avec tout cela, frère et seigneur, reprit l’écuyer du Bocage, si l’aveugle conduit l’aveugle, tous deux risquent de tomber

  1. Cette phrase contient un jeu de mots sur l’adjectif cruda, qui veut dire crue et