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nous arrive de passer un jour, et même deux, sans rompre le jeûne, si ce n’est avec l’air qui court. — Tout cela pourtant peut se prendre en patience, reprit l’écuyer du Bocage, avec l’espoir du prix qui nous attend ; car si le chevalier errant que l’on sert n’est point par trop ingrat, on se verra bientôt récompensé tout au moins par un aimable gouvernement de quelque île, ou par un comté de bonne mine. — Moi, répliqua Sancho, j’ai déjà dit à mon maître qu’avec le gouvernement d’une île j’étais satisfait, et lui, il est si noble et si libéral, qu’il me l’a promis bien des fois, et à bien des reprises. — Quant à moi, reprit l’écuyer du Bocage, un canonicat paiera mes services, et mon maître me l’a déjà délégué. — Holà ! s’écria Sancho, le maître de votre grâce est donc chevalier à l’ecclésiastique[1], puisqu’il fait de semblables grâces à ses bons écuyers ? Pour le mien, il est tout bonnement laïc, et pourtant je me rappelle que des gens d’esprit, quoique à mon avis mal intentionnés, voulaient lui conseiller de devenir archevêque. Heureusement qu’il ne voulut pas être autre chose qu’empereur, et je tremblais alors qu’il ne lui prît fantaisie de se mettre dans l’église, ne me trouvant point en état d’y occuper des bénéfices.

  1. On avait vu en Espagne, du douzième au seizième siècles, une foule de prélats à la tête des armées, tels que le célèbre Rodrigo Ximenez de Rada, archevêque, général et historien. Dans la guerre des Comuneros, en 1520, il s’était formé un bataillon de prêtres, commandé par l’évêque de Zamora.