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CHAPITRE XLI.

Où le captif continue son histoire.



Quinze jours ne se passèrent point sans que notre renégat eût acheté une bonne barque, capable de tenir trente personnes. Pour colorer la chose et prévenir tous soupçons, il résolut de faire et fit en effet le voyage d’un pays appelé Sargel, qui est à vingt lieues d’Alger, du côté d’Oran, où il se fait un grand commerce de figues sèches[1]. Il recommença deux ou trois fois ce voyage, en compagnie du Tagarin dont il nous avait parlé. On appelle Tagarins, en Berbérie, les Mores de l’Aragon, et Mudejarès ceux de Grenade[2]. Ces derniers se nomment Elchès dans le royaume de Fez, et ce sont eux que le roi de ce pays emploie le plus

  1. Sargel, ou Cherchel, est situé sur les ruines d’une cité romaine qui s’appelait, à ce qu’on suppose, Julia Cæsarea. C’était, au commencement du seizième siècle, une petite ville d’environ trois cents feux, qui fut presque dépeuplée lorsque Barberousse se rendit maître d’Alger. Les Morisques, chassés d’Espagne en 1610, s’y réfugièrent en grand nombre, attirés par la fertilité des champs, et y établirent un commerce assez considérable, non-seulement de figues sèches, mais de faïence, d’acier et de bois de construction. Le port de Sargel, qui pouvait contenir alors vingt galères abritées, fut comblé par le sable et les débris d’édifices dans le tremblement de terre de 1738.
  2. Voir la note 18, au chap. précédent.