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larmes, calma ses sanglots, et remercia son maître de la faveur qu’il lui faisait.

Celui-ci, dès qu’il eut pénétré dans ces montagnes, qui lui semblaient des lieux tout-à-fait propres aux aventures qu’il cherchait, s’était senti le cœur bondir de joie. Il repassait en sa mémoire ces merveilleux événements qui, dans de semblables lieux, âpres et solitaires, étaient arrivés à des chevaliers errants, et ces pensées l’absorbaient et le transportaient au point qu’il oubliait toute autre chose. Quant à Sancho, il n’avait d’autre souci, depuis qu’il croyait cheminer en lieu sûr, que de restaurer son estomac avec les débris qui restaient du butin fait sur les prêtres du convoi. Il s’en allait donc derrière son maître, chargé de tout ce qu’aurait dû porter le grison[1], et tirant du sac pour mettre en son ventre ; et il se

  1. Il paraît que Cervantès ajouta après coup, dans ce chapitre, et lorsqu’il avait écrit déjà les deux suivants, le vol de l’âne de Sancho par Ginès de Passamont. Dans la première édition du Don Quichotte, il continuait, après le récit du vol, à parler de l’âne, comme s’il n’eût pas cessé d’être en la possession de Sancho, et il disait ici : « Sancho s’en allait derrière son maître, assis sur son âne à la manière des femmes… » Dans la seconde édition, il corrigea cette inadvertance, mais incomplètement, et la laissa