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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

Il me sembla qu’après avoir ainsi obéi aux désirs de mon père, tout devait tourner pour moi à bonne et glorieuse fin. Ce fut donc avec la plus grande ardeur que je travaillai à l’achèvement du vase de l’évêque de Salamanque. Ce prélat était un homme magnifique et fort riche, mais difficile à contenter. Chaque jour il envoyait voir ce que je faisais, et quand par hasard son messager ne me trouvait pas chez moi, il entrait dans une fureur sans bornes et jurait qu’il m’ôterait mon ouvrage pour le donner à un autre. Cette maudite musique était la cause de tout cela. Cependant je travaillai, nuit et jour, avec tant d’assiduité à mon vase, que, l’ayant amené à un état présentable, je le montrai à mon évêque ; mais il en conçut un si vif désir de le voir terminé, que j’eus lieu de me repentir de ma complaisance. Enfin, au bout de trois mois, j’achevai ce vase, qui était orné de petits animaux, de feuillages et de masques aussi beaux qu’on puisse les imaginer. Je chargeai aussitôt mon apprenti Paulino d’aller le montrer à Lucagnolo, ce vaillant homme dont j’ai parlé plus haut. Mon beau Paulino, avec sa grâce infinie, lui dit : — « Messer Lucagnolo, pour tenir sa promesse, Benvenuto vous envoie une de vos coglionerie, en attendant que vous lui montriez une de ses bo……rie. » — Lucagnolo prit le vase, et, après l’avoir attentivement examiné, dit à Paulino : — « Mon bel enfant, dis à ton maître qu’il est un habile homme, que je le prie de me tenir pour son ami et de ne plus songer au passé. » — L’honnête et charmant Paulino s’acquitta joyeusement de ce message. Le vase fut ensuite porté à l’évêque de Salamanque, qui voulut qu’on le fît estimer. Lucagnolo prit part à cette expertise. Il vanta beaucoup mon travail, et le poussa à un prix que j’étais loin d’espérer. Mon évêque, s’étant emparé de mon vase, s’écria en véritable Espagnol : — « Je jure Dieu qu’autant il me l’a fait attendre, autant il en attendra le payement ! » —