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LIVRE PREMIER

force, qu’il me fit beaucoup de mal. Je me retournai à l’instant, et voyant qu’il riait, je lui lançai un si rude coup de poing sur la tempe, qu’il perdit connaissance et tomba comme mort. — « Voilà, criai-je à ses cousins, comment se traitent les lâches gredins de votre espèce ! » — Puis, comme ils faisaient mine de vouloir se jeter sur moi, car ils étaient nombreux, la colère m’emporta, je tirai un petit couteau, et je leur dis : — « Si l’un de vous sort de la boutique, qu’un autre coure chercher un confesseur, car un médecin n’aura que faire ici. » — Ces paroles leur causèrent une telle épouvante, qu’aucun d’eux n’osa bouger pour secourir le cousin.

Je ne fus pas plutôt parti que pères et fils coururent au tribunal des Huit, et m’accusèrent de les avoir assaillis, à main armée, dans leur boutique, crime sans exemple à Florence. Les Huit me citèrent devant eux ; je comparus. — Ils m’accueillirent avec une verte réprimande, soit parce que j’étais en cape[1], tandis que mes adversaires étaient en manteaux et en chaperons, soit parce que ceux-ci avaient eu soin d’aller d’abord chez nos juges leur parler en particulier, ce que j’avais négligé de faire, ignorant l’usage et me reposant sur la bonté de ma cause.

Je dis au tribunal que, violemment irrité par la grave insulte de Gherardo, je ne lui avais cependant donné qu’un soufflet, qu’ainsi je ne croyais pas avoir mérité leur sévère réprimande. À peine eus-je lâché le mot soufflet, que Prinzivalle della Stufa, l’un des Huit, dit : — « C’est un coup de poing et non un soufflet que tu lui as donné. » — Aussitôt la sonnette retentit, et on nous fit tous sortir. Prinzivalle, pour me disculper, dit alors à ses collègues : — « Admirez, signori, la simplicité de ce pauvre jeune homme, qui s’ac-

  1. Varchi, contemporain de Benvenuto, dit qu’à Florence on réputait homme de mauvaise vie et coupe-jarret celui qui, sans être soldat, ne portait que la cape pendant le jour. — Voy. Varchi, lib. IX, p. 120.