Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec mes deux jeunes gens, et j’avançai merveilleusement le bassin et l’aiguière.

Dans l’endroit que nous habitions l’air était malsain : aussi fûmes-nous tous un peu indisposés à l’approche de l’été. Pendant notre indisposition, nous visitâmes les terres qui dépendaient de notre palais. Elles étaient tout à fait abandonnées et avaient près d’un mille d’étendue. Il s’y trouvait une énorme quantité de paons qui y couvaient comme des oiseaux sauvages. M’en étant aperçu, je chargeai mon escopette avec une certaine poudre qui ne produisait aucun bruit. Je guettai les jeunes paons, et tous les deux jours j’en tuai un ; ce qui était largement suffisant pour entretenir notre table. La chair de ces jeunes paons était si exquise qu’elle nous guérit de toutes nos indispositions. Nous passâmes ainsi plusieurs mois à travailler gaiement au bassin et à l’aiguière, qui exigeaient beaucoup de temps.

Sur ces entrefaites, le duc de Ferrare termina les anciens différends qu’il avait avec le pape Paul relativement à Modène et à quelques autres villes. Comme les réclamations de l’Église étaient fondées, le duc ne parvint à conclure la paix avec le pape qu’à force d’argent. La somme qu’il donna fut considérable ; elle dépassa, je crois, trois cent mille ducats. — À cette époque, le duc avait un vieux trésorier nommé messer Girolamo Giliolo, lequel avait été élevé par le duc Alfonso, père de Son Excellence. Ce vieillard ne pouvait se faire à l’idée de voir tant d’argent aller entre les mains du pape. Cela lui semblait si exorbitant qu’il criait dans les rues : — « Son père, le duc Alfonso, plutôt que de montrer cet argent au pape, s’en serait servi pour prendre Rome ! » — Et, en dépit des ordres les plus pressants, il persistait à ne rien payer. À la fin, il fut forcé par le duc de s’exécuter ; mais il en éprouva une colique si violente que peu s’en fallut qu’il ne mourût.