Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terai cependant pas sur ce sujet, et je reprends l’histoire de ma vie et des choses qui s’y rapportent.

Le métier d’artilleur, que j’exerçai durant un mois entier que dura le siége du château, m’occasionna plusieurs graves accidents tous dignes d’être racontés ; mais, pour être bref et ne pas trop m’écarter de ce qui concerne ma profession, je laisserai de côté le plus grand nombre de ces événements. Je me bornerai à relater les plus remarquables, que je ne puis passer sous silence.

Un jour, messer Antonio Santa-Croce me fit descendre de mon poste de l’Agnolo, pour canonner certaines maisons voisines du château, où l’on avait vu entrer des ennemis. Pendant que je tirais, un coup de canon donna sur l’angle d’un créneau, et en détacha une masse assez considérable pour ne pas me causer grand mal ; car, grâce à sa dimension, elle me frappa d’aplomb en pleine poitrine. Je tombai par terre privé d’haleine et comme mort, mais j’entendais tout ce que les assistants disaient. Messer Antonio Santa-Croce entre autres se lamentait vivement. — « Hélas ! s’écria-t-il, nous avons perdu notre meilleur auxiliaire. » — Un musicien de mes amis, qui avait plus de dispositions pour la médecine que pour la flûte, arriva au bruit. Il courut aussitôt, les larmes aux yeux, chercher un flacon d’excellent vin grec, il fit ensuite rougir une tuile sur laquelle il mit une forte poignée d’absinthe, qu’il arrosa de ce bon vin grec ; puis, lorsque l’absinthe fut convenablement imbibée, il me l’appliqua sur la poitrine, à l’endroit où j’avais été touché. La vertu de cette absinthe fut si puissante, qu’elle me rendit immédiatement mes forces. Je voulus parler, mais je ne pus y réussir parce que des imbéciles de soldats m’avaient rempli la bouche de terre, croyant m’avoir administré la communion. Ils m’avaient plutôt excommunié, car cette terre m’empêchait de revenir à moi, et me faisait souffrir plus que le coup que j’avais