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Doña Mencia me considère d’un air d’étonnement : elle suppose qu’il doit m’être arrivé quelque chose d’extraordinaire ; elle appréhende même quelque dérangement dans ma raison. Tandis que son inquiétude, sa curiosité, sa bonté, sa tendresse, se peignent dans ses complaisances et dans ses regards, sa prévoyance a fait rassembler sous ma main ce qui peut soulager les besoins d’un voyageur fatigué par une route longue et pénible.

Les domestiques s’empressent à me servir. Je mouille mes lèvres par complaisance : mes regards distraits cherchent mon frère ; alarmé de ne le pas voir : « Madame, dis-je, où est l’estimable don Juan ?

— Il sera bien aise de savoir que vous êtes ici, puisqu’il vous avait écrit de vous y rendre ; mais comme ses lettres, datées de Madrid, ne peuvent être parties que depuis quelques jours, nous ne vous attendions pas sitôt. Vous êtes colonel du régiment qu’il avait, et le roi vient de le nommer à une vice-royauté dans les Indes.

— Ciel ! m’écriai-je, tout serait-il faux dans le songe affreux que je viens de faire ? Mais il est impossible…

— De quel songe parlez-vous, Alvare ?..

— Du plus long, du plus étonnant, du plus ef-