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devant lui deux mulets qui avaient de l’apparence. Je lui proposai de me conduire chez moi ; il savait le chemin, nous convînmes du prix.

J’allais remonter dans ma voiture, lorsque je crus reconnaître une femme de ma campagne qui traversait le chemin suivie d’un valet : je m’approche ; je la fixe. C’est Berthe, honnête fermière de mon village et sœur de ma nourrice. Je l’appelle ; elle s’arrête, me regarde à son tour, mais d’un air consterné. « Quoi ! c’est vous, me dit-elle, seigneur don Alvare ! Que venez-vous chercher dans un endroit où votre perte est jurée, où vous avez mis la désolation ?…

— Moi ! ma chère Berthe, et qu’ai-je fait ?…

— Ah ! seigneur Alvare, la conscience ne vous reproche-t-elle pas la triste situation à laquelle votre digne mère, notre bonne maîtresse, se trouve réduite ?

— Elle se meurt… elle se meurt ? m’écriai-je.

— Oui, poursuivit-elle, et c’est la suite du chagrin que vous lui avez causé ; au moment où je vous parle, elle ne doit pas être en vie. Il lui est venu des lettres de Naples, de Venise. On lui a écrit des choses qui font trembler. Notre bon seigneur, votre frère, est furieux : il dit qu’il sollicitera partout des