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les quatre fils aymon

J’insisterai sur ce point de vue, car je crois qu’ici nous atteignons une certitude solide. Ce second Chilpéric était très coupable aux yeux des Austrasiens. Il refusait d’accepter pour maire du palais le chef dont ils étaient fiers, le fils de Pepin, l’héritier de la grande race autour de laquelle ils se groupaient ; il avait par sa résistance provoqué une terrible guerre civile d’où il était sorti vaincu et humilié, mais qu’on ne lui pardonnait pas. Les chants épiques, on le sait, se sont inspirés de ce sentiment dont l’intensité fut en raison des pertes que leur victoire coûtait aux Austrasiens. Quel est le tort de Charlemagne, du roi de la Chanson de geste ? Il voit, de parti pris, des ennemis dans Renaud et ses frères et il refuse leur service. Le conflit entre un roi et un maire du palais dont il redoutait la puissance, se transforme dans l’épopée, et le représentant de Charles Martel est un jour un vaillant vassal, que les exigences du roi contraignent à la rébellion, mais qui, toujours pénétré de ses devoirs de fidélité, demeure un modèle de loyauté chevaleresque, notre Renaud. L’enthousiasme des Austrasiens pour leur glorieux chef est la source des sympathies dont d’un bout à l’autre le personnage de Renaud est entouré ; et ceux qui conseillent au roi de le combattre sont des traîtres, de même que Ragenfred, rival de Charles, est devenu le traître Rainfroy.

Mais ce roi, pour les Austrasiens et pour la légende faite de leurs préventions et de leurs ressentiments, ne pouvait qu’être indigne de son titre et de sa fonction. À l’odieux dont il hérite du premier Chilpéric, s’ajoute cette nuance de résistance entêtée, d’obstination inintelligente dont nous avons tout d’abord relevé l’expression. Si Heudri, le Chilpéric d’autres compositions, n’a pas conservé ce caractère, c’est parce qu’il est déchu de la qualité royale. L’on n’en discerne pas moins que, dans le progrès de la légende, il y eut un moment où les trouvères purent attribuer au premier Chilpéric les travers que les Austrasiens imputaient au second. Mais encore ne faudrait-il pas aller trop avant dans ce sens, car, nous le verrons plus loin, un des frères du premier Chilpéric, Gonthramn, avait probablement contribué déjà pour une part plus grande que le Mérovingien contemporain de Charles Martel, à la formation première de ce type étrange du suzerain faible et