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les quatre fils aymon

Dans cette lugubre tragédie qui nous ramène bien près des Ardennes, nous rencontrons un père impitoyable, poursuivant son fils. Si dans le récit de Grégoire de Tours l’escorte est dispersée par un autre que Chilpéric, ce détail, de nature insignifiante, devait être négligé par la légende. Nous avons, d’autre part, un guet-apens, où l’on peut, sans grand effort, voir la première esquisse de la tentative de trahison d’Hervieux voulant livrer Montessor à Charles. Aymes et Hervieux sont le dédoublement du personnage de Chilpéric, et, si l’on y regarde de près, entre le nom d’Hervieux (Hervix, Hervieus et, dans le ms. 775, Hielevius) et celui du roi franc, Hilperik, Hilpericus, l’on reconnaît une parenté possible. Les trouvères lisaient ou se faisaient lire les Chronique latines et altéraient, sans s’occuper des règles de la phonétique, les noms qu’ils y trouvaient. D’un autre Chilpérik n’ont ils pas fait d’abord un Hildérik, pour le métamorphoser en Heldri, Heudri et finalement Landri ?

L’on discerne donc sous le Beuves d’Aigremont et la première partie des Fils Aymon les restes de chants consacrés aux malheurs de deux jeunes princes, fils du roi Chilpéric, chants sans doute nés en Austrasie, car les Franks de cette région ne pouvaient ressentir que du mépris pour les crimes qui ensanglantaient la cour du roi de Neustrie. Le premier de ces chants n’a subi d’autre altération que celles qui résultaient nécessairement de la transposition à une époque plus récente et profondément différente de faits et de personnages empruntés aux temps confus et barbares des premiers Mérovingiens. Du Beuves d’Aigremont s’étend sur tout le poème une couleur archaïque et sombre. Elle est souvent en contradiction avec les mœurs et les caractères des personnages qui se meuvent dans le cadre définitivement tracé par les trouvères, lorsqu’ils ont mis en œuvre les légendes primitives et créé de toutes pièces la Chanson de Geste qui nous est parvenue.

Le second de ces chants se terminait dans la région des Ardennes par la mort de Mérovig, et flottait encore, de plus en plus indécis, dans le souvenir populaire, quand un trouvère eut l’idée d’en utiliser les données en les associant à un fragment détaché des Enfances de Charles Martel. Il trouvait des traits communs, la poursuite par le roi et le lieu des évé-