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Chapitre VII

Mon court arrêt dans le Fort S. André. Ma premiere maladie galante. Plaisir d’une vengeance. Belle preuve d’un alibi. Arrêt du comte Bonafede. Mon elargissement. Arrivée de l’eveque. Je quitte Venise.

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Ce Fort, où la Republique ne tenoit ordinairement qu’une garnison de cent esclavons invalides, étoit alors peuplé de deux mille albanois. On les nommoit cimariotes. Le president de la guerre, qu’on appelle à Venise le Sage à l’ecriture les avoit fait venir du Levant à l’occasion d’une promotion. On voulut que les officiers se trouvassent à portée de faire valoir leur merite, et de le voir recompensé. Ils étoient tous natifs de cette partie de l’Epire qu’on nomme Albanie, et qui appartient à la Republique. Il y avoit alors vingt cinq ans qu’ils s’étoient distingués à la derniere guerre que la republique eut contre les turques. Ce fut pour moi un spectacle aussi nouveau que surprenant de voir dixhuit à vingt officiers tous vieux, et tous bien portans couverts de cicatrices la figure, et la poitrine que par luxe ils portoient decouverte. Le lieutenant colonel avoit positivement un quart de tête de moins. On ne lui voyoit ni une oreille, ni un œil, ni la machoire. Il parloit cependant, et il mangeoit tres bien : il étoit fort gai, et il avoit avec lui toute sa