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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

mêmes, seront pleins d’amour et de charité pour leurs frères, ils connaîtront le bonheur, quelles que soient d’ailleurs les conditions de leur existence personnelle. »

L’encre sécha, et j’essayai encore, mais en vain, de quitter ce ciel brumeux.

Une autre fois, après avoir subi cette opération du filtrage, bien nécessaire en vérité pour toute eau puisée dans la Seine, réceptacle de tant de choses immondes, je fus versée au fond d’une coupe de cristal curieusement gravée qu’on posa sur une table devant laquelle s’assit une jeune fille. Elle faisait le portrait d’un vieillard qui semblait en dormi dans un lit occupant le fond de l’appartement. C’était son grand-père, mort depuis quelques heures seulement. Malgré les larmes abondantes qu’elle étanchait à chaque instant, la pieuse fille travaillait avec application à bien reproduire l’image vénérée, et je fus employée à délayer la couleur qui donna le dernier trait à cette figure qui devait à la mort cette expression de béatitude que l’on remarque si souvent chez ceux qui s’éteignent doucement après une vie honnête et paisible. Aussitôt que je fus dissoute dans l’air, je m’empressai de quitter la chambre mortuaire.

Enfin, étant restée assez longtemps sans être puisée, je pus me mêler au courant et quitter cette ville dont l’activité me fatiguait. Je pensai avec