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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

elle ne mangeait pas un gâteau qu’ils n’y eussent part.

Je me consolais de ma captivité en voyant la petite mine joyeuse de notre aimable geôlière pendant les heures qu’elle passait à contempler ses chers prisonniers. Elle les aimait et souriait à leurs ébats, et moi je prenais ma part de cette affection.

Un jour qu’elle tenait son bocal pour le mettre au soleil sur le balcon de sa chambre, un beau lévrier, son compagnon de jeux, se jeta étourdiment au-devant d’elle et fit tomber le bocal de ses mains. Je n’entendis que son premier cri, car j’eus à peine effleuré le seuil brûlant que je repris mes courses et mes espérances, jusqu’à l’hiver qui me surprit dans les régions moyennes de l’air, et me précipita en neige sur un glacier des Alpes.

Aidée de mes sœurs, je fis, en fondant, l’une de ces fissures profondes si dangereuses pour les curieux qui visitent ces merveilles de la nature. La terre m’absorba, et je filtrai jusqu’aux nappes inférieures qui alimentent les sources. Combien de temps restai-je dans cette affreuse obscurité et sous cette pression accablante ? je ne saurais le dire, puisque le jour et la nuit n’existaient plus pour moi ; et ce fut une phase bien douloureuse de ma vie ! Qu’était devenu mon beau soleil, et devais-je jamais le revoir ? Étais-je donc privée pour toujours du bonheur de