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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

cette preuve d’amour que de toutes les belles choses dont il avait empli sa maison.

« Car, disait-elle, l’argent t’a procuré toutes ces merveilles, et il t’a suffi de vouloir une fois me les donner ; mais pour avoir réussi à sauver ta fleur des vicissitudes d’une température qui a varié sur tous les degrés de l’échelle thermométrique ; pour l’avoir garantie pendant un si long trajet de mille causes de destruction sans cesse agissantes, il t’a fallu penser constamment au plaisir que j’aurais à la posséder ; ce qui témoigne d’une persévérance dans ta volonté et d’une intensité dans ton amour qui font mon bonheur et mon orgueil ! »

La feuille m’exsuda, et je courus rejoindre mes sœurs qui, visibles ou non, flottent sans cesse dans l’air. Mais je rencontrai en mon chemin la surface polie d’un miroir sur lequel je me déposai forcément, obéissant aux lois immuables qui régissent la nature ; car je n’ai aucune influence sur ma destinée. Une jeune fille survint : elle avait les yeux rouges ; sans doute quelque chagrin secret pesait déjà sur sa vie ! Voulant voir si son visage portait les traces des larmes qu’elle avait versées, elle essuya la glace que j’avais ternie, et jeta son mouchoir parmi divers objets qu’on allait laver. Je me mêlai au ruisseau où l’on trempa le linge, et je glissai encore entre les joncs et les fleurs.