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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

mur. La secousse qu’elle imprima à la plante me fit tomber dans le petit réservoir ménagé entre les feuilles du grand chardon, afin que les petits oiseaux auxquels il a donné son nom ne mourussent pas de soif dans les jours de grande sécheresse. Je donnai un regret à mes humbles voisins, qui étaient passés de leur profond repos à un repos plus profond encore ! Fallait-il les plaindre, eux qui, n’ayant pas eu conscience de leur fin prochaine, avaient été dévorés tous ensemble roulés dans leur suaire merveilleux !

La maudite chèvre, en s’abattant, fit jaillir une partie de l’eau contenue entre les feuilles du chardon ; je fus projetée au milieu du chemin et mêlée à la fange qui le remplissait. Où était maintenant cette pureté qui me rendait si fière et me faisait considérer comme une fille des cieux ! Moi, si dédaigneuse naguère pour celles de mes sœurs que le sort condamnait aux usages les plus grossiers, j’étais tombée si bas que j’allais en être dédaignée à mon tour ! je fis de graves et salutaires réflexions sur la cruauté de l’orgueil, et je compris combien j’avais été injuste en refusant ma pitié à toutes ces perles avilies qui seront un jour relevées de leur souillure involontaire.

Le temps se chargea : la pluie tomba en abondance, et tout ne fut bientôt plus que boue. Je fus traînée aux pieds, puis laissée aux lames d’un dé-