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LE PISSENLIT.

bout d’un mois, elle se trouva près de fleurir de nouveau. Mais de fâcheuses prévisions avaient remplacé les jouissances de la vanité satisfaite : elle craignait maintenant de ne pas voir arriver à bien la jeune famille qui devait perpétuer sa race.

En effet, un faucheur trancha la fleur et une partie des feuilles. L’année se passa donc sans que le pauvre pissenlit pût porter graine. Vers la fin de l’hiver, cependant, il parcourut enfin toutes les phases de son développement, et une maigre fleur hâtive donna de médiocres semences qui laissaient peu d’espoir de germination. Avant de les livrer aux hasards de la fortune, le pissenlit leur raconta son histoire, et finit en leur disant :

« N’imitez pas mon exemple, mes enfants ! Soyez dociles aux conseils de votre mère ; préférez les douceurs de l’obscurité aux satisfactions de l’orgueil. Vous le voyez, je suis condamnée à souffrir pendant le cours de ma longue vie les calamités qui en ont signalé la première année, et je n’ose espérer voir mes graines mûrir à chaque saison. Si, comme mes sœurs, j’eusse suivi les conseils de notre mère, je passerais une douce existence dans la plaine, livrant le nectaire de mes fleurs aux petits insectes qui se nourrissent du miel que je distille ; et je protégerais de mon ombre les humbles plantes qui croissent dans mon voisinage, sans compromettre la sécurité des uns ni des autres,