Page:Carraud - Les métamorphoses d’une goutte d’eau, 1865.pdf/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LES AVENTURES

naire qu’elles déposèrent devant la porte, pour retourner immédiatement porter la désolation ailleurs. Les noires cendrées, n’ayant pas la conscience de leur abaissement, quittèrent les travaux et descendirent les proies nouvelles dans les souterrains. Parmi toutes ces larves enlevées à la cité natale, il ne s’en trouvait aucune mâle ou femelle ; toutes appartenaient aux ouvrières, les seules dont les conquérants eussent besoin pour vivre dans ce loisir absolu, interrompu seulement par huit ou dix expéditions chaque année.

Bientôt les nymphes enlevées à ma chère patrie manifestèrent le besoin de sortir de leur coque. Je déchirai celle de ma bien-aimée en prenant plus de précautions, s’il est possible, que ma nourrice n’en avait usé pour me produire à l’état d’insecte parfait. Aussitôt délivrée de son enveloppe, la jeune fourmi se détira un instant au soleil, et se mit ensuite joyeusement à l’ouvrage, croyant bien être une fille de cette tribu étrangère.

J’accompagnai mon élève en tous lieux et je lui enseignai l’art de magnétiser les pucerons pour obtenir en abondance le miel qu’ils produisent ; je lui appris à porter un fardeau en parfait équilibre pour éviter la trop grande fatigue ; je l’initiai à tous les mystères de notre langage, et bientôt elle sut, tout aussi bien que moi, employer à propos les antennes ou la tête pour avertir ses compagnes, suivant l’ur-