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D’UNE FOURMI.

tation celles de nos sœurs qui étaient à la picorée, poursuivies par une troupe de brigands, vrais géants de couleur roussâtre. Ils escaladèrent notre cité et se précipitèrent sur nos larves et sur nos nymphes avec tant de furie, qu’ils nous en avaient ravi une partie avant que nous eussions pu nous mettre en défense. Un peu revenues de notre premier effroi, nous combattîmes vaillamment, et beaucoup d’entre nous y perdirent la vie. D’autres, plus prudentes que braves, se saisirent des larves qui restaient et les emportèrent dans les lieux les plus secrets de l’habitation pour les soustraire au triste sort qui les menaçait.

Révoltée de cette injuste agression que rien ne motivait, car nous sommes d’humeur pacifique et n’avons jamais cherché à nuire à nos voisins, je m’attachai à la jambe de l’une de ces monstrueuses bêtes et je l’entraînais déjà vers un lieu écarté où je comptais la mettre à mort avec l’aide de quelques-unes de mes sœurs, quand je vis un autre déprédateur saisir une larve que je soignais avec prédilection et que j’aimais singulièrement. Je lâchai l’ennemi que je tenais pour me mettre à la poursuite de celui qui m’enlevait mon élève chérie ; mais il avait de grandes jambes et me distança promptement, ce qui ne m’empêcha pas de le suivre de toute la vitesse des miennes ; et, guidée par l’arrière-garde de cette armée qui venait de nous piller, j’arrivai auprès de la fourmilière presque en même temps qu’elle.