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sitôt il dépêcha deux canots pour aller couper les balises qui étaient dans la rivière pour conduire les vaisseaux, cela se fit à la vue des Anglais qui tirèrent plusieurs coups de fusils sur eux pour les en empêcher.

Ensuite les Anglais se mirent dans deux chaloupes pour remettre les balises de barils. Nos gens se voyant traités comme ennemis se mirent à tirer de leur côté, et cassèrent leurs barils à coup de haches, à mesure qu’ils en mettaient, cela se fit pendant deux jours. Leurs deux navires étaient échoués à la bande ; et si d’Iberville eut eu du canon sur sa barque, il les aurait pris en l’état qu’ils étaient, après cela le petit navire Anglais se releva et entra dans la rivière conduit par deux chaloupes qui sondaient continuellement. Maricourt frère d’Iberville et Martigny[1] son cousin les observaient, et tiraient incessamment sur eux. Les Anglais mirent leur monde à terre sous les armes embusqués de tout coté. La nuit suivante Maricourt, son cousin, Pierre Vaux, et Dorval s’embarquèrent après minuit pour venir faire leur embuscade sans être pris, à dessein de prendre quelques anglais en vie pour savoir leur dessein et les raisons qu’ils avaient de les attaquer et inquieter dans leur établissement, soit que les Anglais entendissent quelques branches cassées, où qu’ils eussent peur ils crièrent hors de la garde et envoyèrent des sentinelles plus avant. Nos gens voyant trois gens bien vêtus crurent que c’étaient les Commandants ils se trainèrent pour les approcher, un de ces Commandants prétendus qui avait une épée à garde d’argent, avec une grande perruque, s’écarta des autres, passa au bout de la levée dont nos gens tenaient le haut, cachés dans des broussailles ; ils le laissèrent passer croyant qu’il s’écarterait assez pour le pouvoir prendre en vie ; mais il revint sur ses pas pour rejoindre ses camarades. Nos gens voyant qu’il leur allait échapper, Martigny le tira de dix pas et le jetta par terre sur le bord de l’eau où il entra quelques pas en tombant puis se releva et y baissa son fusil criant à moi Pierre Vaux tira un second coup qui ne le fit pas tomber. Maricourt sans perdre de temps tira et le jetta à bas dont il ne se releva pas. Nos gens entrèrent environ deux arpents dans le bois, rchargèrent leurs fusils et trouvèrent les anglais qui faisaient grand bruit autour du corps de leur Capitaine. Nos gens firent encore sur eux leur descharge de loin, et leur crièrent : « vous voilà bien étonné pour un homme mort, nous nous reverrons plus amplement », après quoi ils s’enfuirent dans leur canot et traversèrent à deux cents pas au-dessus d’eux. Depuis ce temps qui dura depuis douze ou quinze jours jurqu’au départ de Martigny pour venir ici qui fut le 10 Octobre (1688), il ne passa

  1. Jean Baptiste Lemoine, Sieur de Martigny, fils de Jacques Lemoine, sieur de Ste-Marie, et de Mathurine Godé, baptisé à Montréal, le 2 avril 1662, marié le 1er juillet 1691, à Elizabeth Guyon. Il suivit d’Iberville dans presque toutes ses campagnes. Il fut tué au siège du fort Sainte-Anne, en 1709, dans la tantative malheureuse des Français pour reprendre ce poste.