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pés en leur disant que nous n’avions plus de boulets puisque nous les prodigions de la sorte, mais là ils ne savoient pas qu’avec du plomb et des cailloux, ou du machefer, Mr. l’Allemand en jettoit au moule pendant qu’on était occupé à faire des travaux. Ce même jour ils envoyèrent une chaloupe à l’autre bord du havre où quelques uns mirent à terre, et montèrent sur certaines roches à la portée du canon de nous pendant que d’autres s’occupaient à je ne scay quoi que nous ne pûmes distinguer ; nous crûmes d’abord qu’ils allaient voir s’ils pourraient y loger un canon comme nous avions fait de l’autre coté, et nous battre avec avantage, ou s’ils trouveraient le canal pour s’y faire touer, et nous venir joindre : et pour les en empescher nous enyoiâmes 5 ou 6 fusilliers en diligence afin de les debusquer pendant qu’on tirerait quelque volée de canon vers cet endroit là. Quand ils en furent assez proche en tira 3 coups de canon braqués sur la chaloupe ennemie contre laquelle les boulets allèrent tomber et firent tant de peur aux Anglais que ceux qui visitaient la roche en descendirent precipitament et se rembarquèrent ; en même temps ils entendirent derrier eur une douzaine de coups de fusils qui leur sifflerent aux ôreilles. Cela les fit penser à eux et juger qu’ils ne feraient que perdre leur temps. Voyant surtout que nous ne nous empressions guère de leur parler, mais seulement à les battre partout où nous le rencontrerions, ils résolurent donc de nous parier eux-mêmes et envoyèrent le Brigueur en chaloupe avec un pavillon blanc, lequel ayant abordé au dessus de la pointe demanda à M. l’Allemand qui descendit aussitôt sur la grève avec son interprète. Le Brigueur ayant demandé sureté et d’être seul à seul, mit pied à terre, et s’entretint longtemps avec lui de choses differentes, et il lui demanda d’où vient que nous avions pris leur navire, n’y ayant point de guerre entre nous. D’ou vient, dit Mr. l’Allemand, qu’en pleine paix vous nous avez donné chasse 2 jours durant sans savoir que nous l’eussions pris, et nous reconnaissant Français ? Ensuite il ajouta les causes de le prendre, lesquelles portèrent l’autre à déclamer contre Ratisson qu’il traita de traître et de voleur, et à jurer qu’il le tuerait partout ou il le trouverait : après avoir ainsi pesté il demanda s’il ne voulait pas le leur rendre, M. l’Allemand dit qu’il ne l’avait pas pris pour le rendre, mais que s’ils voulaient le ravoir, ils vinsent le reprendre eux-mêmes, mais qu’il fallait auparavant terrasser tous les Français, qui étaient bien disposés à les recevoir.

Nous voions, dit le Brigueur, que vous êtes forts, mais nous vous garderont ici ayant des vivres pour trois ans. Je m’en réjouis fort, dit Mr. l’Allemand, nous aurons le loisir de vous voir et de vous régaler de cariboux que nous tuerons en attendant qu’un printemps prochain nous puissions nous en retourner de compagnie en Canada. Cette réponse lui faisant connaitre qu’il n’y avait rien à faire, il prît congé, se rembarqua et s’en fut à son bord, où désespérant lui et les autres de ga-