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tu lis, tu creuses, tu travailles plus que moi et qu’une foule d’autres. Tu es plus riche cent fois que nous tous ; tu es un riche et tu cries comme un pauvre. Faites la charité à un gueux qui a de l’or plein sa paillasse, mais qui ne veut se nourrir que de phrases bien faites et de mots choisis… Mais, bêta, fouille dans ta paillasse et mange ton or. Nourris-toi des idées et des sentiments amassés dans ta tête et dans ton cœur ; les mots et les phrases, la forme, dont tu fais tant de cas, sortira toute seule de ta digestion. Tu la considères comme un but, elle n’est qu’un effet… La suprême impartialité est une chose antihumaine ; un roman doit être humain avant tout. S’il ne l’est pas, on ne lui sait point gré d’être bien écrit, bien composé et bien observé dans le détail. La qualité essentielle lui manque : l’intérêt. » Et la note affectueuse venait corriger ce que le conseil avait de sévère : « Il te faut un succès après une mauvaise chance qui t’a troublé profondément ; je te dis où sont les conditions certaines de ce succès. Garde ton culte pour la forme ; mais occupe-toi davantage du fond (qui était, pour elle, les idées et la signification précise de l’œuvre). Ne prends pas la vertu vraie pour un lieu commun en littérature. Donne-lui son représentant ; fais passer l’honnête et le fort à travers ces fous et ces idiots dont tu aimes à te moquer. Quitte la caverne des réalistes et reviens à la vraie réalité, qui est mêlée de beau et de laid, de terne et de brillant, mais où la volonté du bien trouve quand même sa place et son emploi. »