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que tu as, j’aimerais te voir moins irrité, moins occupé de la bêtise des autres. Pour moi, c’est du temps perdu, comme de se récrier sur l’ennui de la pluie et des mouches. Le public, à qui l’on dit tant qu’il est bête, se fâche et n’en devient que plus bête. Après ça, peut-être que cette indignation chronique est un besoin de ton organisation ; moi, elle me tuerait. » Elle combat sans cesse son hérésie favorite, qui est que l’on écrit pour vingt personnes intelligentes et qu’on se moque du reste. « Ce n’est pas vrai, puisque l’absence de succès t’irrite et t’affecte. »

Pas de mépris pour le public ! Il faut écrire pour tous ceux qui ont soif de lire et qui peuvent profiter d’une bonne lecture. Pas d’isolement orgueilleux en dehors de l’humanité ! Elle ne peut pas admettre que, sous prétexte d’être artiste, on cesse d’être soi-même, et que l’homme de lettres détruise l’homme. Quelle singulière manie, dès qu’on écrit, de vouloir être un autre homme que l’être réel, d’être celui qui doit disparaître, celui qui s’annihile, celui qui n’est pas ! Quelle fausse règle de bon goût ! Pour elle, elle se met tant qu’elle peut dans la peau de ses bonshommes. Tout écrivain doit faire ainsi, s’il veut intéresser. Il ne s’agit pas de mettre sa personne en scène. Cela, en effet, ne vaut rien. « Mais retirer son âme de ce que l’on fait, quelle est cette fantaisie maladive ? Cacher sa propre opinion sur les personnages que l’on met en scène, laisser par conséquent le lecteur incertain sur l’opinion qu’il en doit avoir, c’est vouloir