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d’un monde où il puisse changer au moins le cours de ses idées et le train de ses soucis vulgaires, où les sentiments aient plus de force, les caractères plus d’unité, les passions plus de noblesse, l’amour plus d’élévation et de durée, le soleil plus d’éclat. Le roman anglais, qui s’est depuis longtemps acclimaté dans notre langue, et le roman russe, qui a fait récemment une entrée si superbe et triomphante dans notre littérature, sont beaucoup moins éloignés de cette conception qu’on ne le croirait. À un fond de réalisme, qui est dans les exigences toutes naturelles de l’esprit moderne, ces deux formes les plus récentes du roman, soit dans George Eliot, soit dans le comte Tolstoï, joignent tout un ensemble d’aspirations sévères et de poursuites élevées qui les rapprochent singulièrement, par certains points, de l’idéal que nous venons de décrire.

C’était aussi là, nous l’avons vu, l’idée que George Sand s’était faite du roman, au début de sa vie littéraire[1]. Transformer la réalité des caractères et des passions en l’élevant au-dessus des vulgarités et des laideurs, craindre avant tout de l’avilir dans le hasard des événements, qu’est-ce que cela, sinon chercher par tous les moyens l’expression la plus complète et la plus saisissante du rêve de la vie, verser quelques rayons d’idéal dans notre triste et pâle existence ? N’est-ce pas là de l’art, du vrai, du grand art ? Notre vie est dure ici-bas, dit George Sand, et nous n’y

  1. Voir chapitre II