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que l’homme, dans tous les siècles, s’est senti porté par sa nature à éprouver pour l’autorité légale ; il n’entendrait exercer d’autre fonction que celle de protéger les vies et les propriétés des individus. — Le laisser faire signifie que du moment qu’il est pourvu à ce que le fort n’enchaîne pas le faible, et que le pauvre ne pille pas le riche, on doit, sous tous les autres rapports, laisser tout individu, homme, femme, enfant, ne compter que sur lui-même. Si l’enfance est abandonnée, laissez-la périr ; si la vieillesse est négligée, laissez-la périr ; si les hommes forts habituellement se flétrissent et meurent dans l’atmosphère impure des villes, qu’une force collective et autorisée peut seule purifier, laissez-les aussi périr. Si l’adolescence qui, dans quelques années, sera la population du pays, grandit dans la torpeur d’intellect et de conscience faute de culture, couvant des passions qu’excite la vue de la richesse, avec l’âme et le corps dépravés et débilités par un travail précoce et épuisant auxquels la négligence des parents les a soumis, dans ce cas même le principe sacré ne fléchit point. Il conserve le sang-froid d’un inquisiteur du vieux temps devant le bûcher qui dévore les membres de sa victime. Il pose la main sur le législateur et lui dit : — Laissez ces victimes se plonger tête baissée dans l’abîme qui s’ouvre pour elles, parce que le mal partiel sera le bien universel, et que toutes choses devront avoir une bonne fin. Sans nul doute le dogmatisme du laisser faire, bien qu’il soit un cloaque d’égoïsme, est souvent bien intentionné. À vrai dire, il n’est jamais dangereux que dans ce cas. Son aspect est si hideux, si révoltant que n’étaient les lueurs de bienveillance qui brillent dans ses yeux, le monde l’aurait déjà depuis longtemps chassé comme un monstre. Il est sans nul doute bienveillant à sa manière. Torquemada n’aimait pas le mal pour l’amour du mal. Le pape Grégoire XIII était jaloux de la gloire de Dieu, lorsqu’il ordonnait un Te Deum pour le massacre de la Saint-Barthélémy. Et Cromwell avait en vue quelques nobles fins dont il pensait hâter l’accomplissement, lorsqu’il fit à Drogheda massacrer des femmes sans défense et leurs enfants. Lorsqu’on voit le fanatisme, soit économiste ou religieux, sanctionner des actes de cruauté, il ne faut point juger les fauteurs, personnellement, au même point de vue que les hommes qui violent les lois morales par des instincts de cupidité. Mais toutefois, quoique la bienveillance ou la politique, ou, comme on l’appelle, la science sociale, cherche à envelopper son objet en le mélangeant avec ces affections et sympathies primitives qui sont implantées dans le cœur de l’homme et avec des lois morales qu’elles révèlent, l’étroite et audacieuse pré-