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le fait, d’année en année. Des centres d’attraction une fois créés dans tous ces pays, chacun d’eux fait concurrence à la France, à l’Angleterre, à la Belgique, à l’Allemagne pour l’achat du travail, de l’habileté du talent en tout genre ; et plus se développe cette concurrence, plus se développe la tendance à absorber les travailleurs de tous ces pays, — les forces centrifuges et les forces centripètes tendant chaque jour à un équilibre plus parfait ; et tout individu ayant de plus en plus la faculté du choix : s’il ira au dehors ou s’il restera au pays. Tout ce qui tend à inviter à l’émigration est une mesure au profit de la liberté. Tout ce qui tend à forcer à l’émigration est une mesure qui conduit à l’esclavage.

La colonisation grecque, nous l’avons déjà vu, fut dans le principe un résultat de contre-attraction ; aussi fut-elle parfaitement volontaire[1]. Plus tard, lorsque la population se fut livrée exclusivement au trafic et à la guerre, et que sa pauvreté et la dégradation s’étendirent par degrés sur les diverses classes de l’État, la colonisation perdit entièrement son caractère d’acte volontaire. — Elle prit la forme d’expédition, préparée aux frais du trésor public, pour remplir la place et prendre possession des terres des premiers colons, dont la ruine s’accomplissait par suite de mesures adoptées pour maintenir le pouvoir central qui allait toujours accaparant[2].

La première colonisation avait créé partout des centres locaux qui enfantaient l’activité et la vie. C’est précisément le contraire qui a été et qui est la tendance de la colonisation moderne, laquelle est basée sur l’idée d’avilir le prix du travail, de la terre et des denrées premières, — c’est-à-dire d’étendre l’esclavage sur le globe. Sous cette idée, tous les centres locaux tendent à disparaître ; la terre perd de son pouvoir, la production diminue, le propriétaire gagne en domination, la concurrence pour l’achat du travail diminue, tandis que la concurrence pour le vendre augmente d’année en année ; et l’homme perd de sa liberté, — et la nécessité s’accroît de fuir vers d’autres terres, si l’on ne veut pas périr de faim au pays. Sous cette idée, les Irlandais ont été forcés de s’exiler pour demander à l’Angleterre et à l’Amérique le pain et le vête-

  1. Voy. précéd. vol. I, p. 325.
  2. Voy. Boecken. Public Economy of Athens, ch. XVIII.